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Jouer au cécifoot sans être aveugle : conditions, règles et pratique

Sprint dans l’obscurité. Un ballon aux grelots file entre des jambes hésitantes. Sur le terrain, des joueurs voyants choisissent de s’aveugler pour goûter, le temps d’un match, à la radicalité du cécifoot. Plus de repères familiers : chaque geste se réinvente, chaque contact pulse la tension d’un football transformé en épreuve sensorielle.

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Qu’est-ce qui pousse des sportifs à s’immerger dans ce jeu à l’aveugle ? Pour beaucoup, c’est la curiosité du corps, la découverte de sensations insoupçonnées, mais surtout la force du collectif qui se révèle quand la vue disparaît. Pourtant, l’aventure ne se tente pas à la légère. Il faut apprivoiser des codes précis, accepter des contraintes inédites, et s’ouvrir à une culture du jeu où l’écoute prime sur la vue.

Le cécifoot, un sport accessible au-delà de la cécité

Le cécifoot n’est pas qu’une variante du football : c’est une refonte totale, pensée pour les malvoyants ou non-voyants. Ici, c’est le tintement du ballon sonore qui guide chaque action. La tactique s’écrit à l’oreille, la confiance se construit dans le collectif, et l’espace s’explore autrement, à tâtons, de passes feutrées en appels murmurés.

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En France, la Fédération Française Handisport pilote cette discipline depuis ses débuts. Le cécifoot a vu le jour au Brésil dans les années 1960, avant d’essaimer en Espagne puis de s’imposer chez nous, porté par des pionniers comme Julien Zéléla, fondateur de l’Association Sportive Cécifoot Saint-Mandé. Dès 1987, le jeu prend son envol, gagne ses lettres de noblesse et, en 2004, entre dans la cour paralympique à Athènes, sous la bannière de l’IBSA et du Comité International Paralympique.

Le terrain ? Un rectangle de handball (40 x 20 m), flanqué de buts de hockey sur gazon. Les équipes : quatre joueurs déficients visuels, un gardien qui, lui, peut voir ou presque. La France, emmenée par des athlètes comme Yvan Wouandji (argenté à Londres en 2012), a su se tailler une place de choix, au coude à coude avec le Brésil, l’Argentine ou la Chine.

  • Le cécifoot s’invite dans les plus grandes compétitions : Championnat et Coupe de France, Mondiaux, Europe, Jeux Paralympiques.
  • La discipline croît vite, séduisant aussi bien l’Amérique du Nord que l’Afrique.

Bien au-delà de la seule question de la cécité, le cécifoot attire ceux qui veulent repousser les limites du jeu, affûter leur écoute, et souder l’équipe autour d’un défi partagé.

Peut-on jouer au cécifoot sans être aveugle ?

Le cécifoot ne se limite pas aux personnes privées de toute vision. La discipline distingue plusieurs niveaux de déficience visuelle, organisés en catégories : la B1 regroupe les non-voyants, les B2 et B3 concernent les malvoyants, du plus sévère au plus modéré. Pour intégrer une équipe, chaque joueur passe un contrôle d’acuité visuelle : le jeu ne ment pas sur la question du handicap.

En catégorie B1, tous les joueurs de champ doivent porter un masque opaque. Aucune lumière ne filtre, aucun éclat ne triche : voilà pourquoi malvoyants et même voyants peuvent, s’ils l’acceptent, entrer dans la danse, du moment qu’ils jouent le jeu du masque. Les clubs ouvrent d’ailleurs volontiers leurs entraînements à des voyants, que ce soit pour des initiations ou pour sensibiliser à la réalité de la discipline. Côté compétition, la règle est stricte : seuls les gardiens peuvent être voyants, à condition de ne pas être reconnus déficients visuels.

  • En match officiel B1 : joueurs de champ non-voyants ou malvoyants, tous masqués.
  • Gardien : voyant autorisé, à condition de ne pas figurer parmi les déficients visuels.

Le cécifoot B2/B3 ouvre plus largement la porte : malvoyants modérés jouent sans masque, favorisant la mixité et la diversité des profils. Cette ouverture, rigoureusement encadrée, fait du cécifoot un terrain d’inclusion où chacun découvre la magie d’un jeu mené par le son, la voix et la solidarité.

Conditions et règles spécifiques pour les joueurs voyants

Le cécifoot ne ferme pas totalement la porte aux voyants, mais encadre strictement leur intervention. En catégorie B1, leur place est au but : gardiens, certes, mais surtout chefs d’orchestre de la défense. Depuis leur zone de 8 mètres, ils guident, orientent, rassurent, anticipent.

La communication est reine : trois voix orchestrent le match. Le gardien commande sa défense, le coach dirige depuis le centre, le guide, posté derrière le but adverse, oriente les attaquants. Une partition sonore où chaque consigne compte, où l’oreille remplace l’œil, où l’action naît du mot juste.

  • Gardien de but : voyant accepté uniquement en catégorie B1.
  • Coach et guide : voyants admis, leur rôle se limite à la parole, hors des lignes de jeu.
  • Masque obligatoire pour tous les joueurs de champ, voyants inclus lors des initiations et entraînements spécifiques.

La règle du “voy” : chaque joueur doit signaler sa présence à voix haute dès qu’un duel défensif s’engage. Un principe qui sécurise le jeu et place chacun sur un pied d’égalité. Quant au public, il doit se taire. Le silence s’impose, pour permettre à la magie sonore d’opérer, pour que chaque tintement, chaque appel, chaque stratégie s’entende sans filtre.

cécifoot pratique

Expériences, bénéfices et défis de la pratique mixte

Jouer au cécifoot avec des voyants, c’est interroger la frontière entre inclusion et fidélité à l’esprit paralympique. Certains clubs, à l’image de Saint-Mandé, multiplient les séances où voyants et non-voyants partagent le terrain, tous masqués, tous guidés par le son du ballon. Une immersion rare, un pas de côté pour ressentir la réalité sportive du handicap visuel.

Les bénéfices sautent aux yeux :

  • Perception affinée du quotidien des personnes déficientes visuelles.
  • Orientation et écoute : des atouts travaillés par tous les pratiquants, quelle que soit leur vue.
  • Synergie d’équipe renforcée par la nécessité de s’écouter, de s’ajuster, de se faire confiance.

Le cécifoot n’est pas seul à jouer la carte de l’inclusion. Le futsal handisport accueille aussi bien des joueurs moteurs que visuels ; le football sourds ou le football adapté élargissent l’horizon, chacun avec ses spécificités, sous la houlette de la fédération française handisport ou de la fédération française du sport adapté.

Reste que la pratique mixte n’efface pas toutes les différences. Le masque garantit l’équité, mais l’adaptation aux repères sonores demande de l’entraînement. Les écarts de niveau subsistent, inévitables. Pourtant, ces rencontres mixtes, loin de remplacer les compétitions officielles, offrent un formidable laboratoire d’apprentissage et de découverte. Un terrain où, l’espace d’un match, chacun réapprend à voir autrement, par l’écoute et la confiance.

Sur la pelouse silencieuse, l’écho des grelots n’a pas fini de bousculer les certitudes. Qui sait ? Peut-être qu’en se risquant à jouer sans voir, on finit par regarder le football d’un tout autre œil.